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  • Photo du rédacteurAnne Abbara

France : L'attentat de trop


Edito du 20 octobre 2020 de https://www.cartooningforpeace.org/ :


Cartooning for Peace condamne fermement l’assassinat odieux de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne, survenu le 16 octobre à Conflans Sainte-Honorine (France).

C’est non seulement la liberté d’expression mais la liberté d’enseigner qui sont ici victimes de la barbarie et de l’intolérance la plus abjecte. L’assassinat sauvage d’un enseignant, voué à ouvrir l’esprit de ses élèves en faisant un cours sur la liberté d’expression, n’est pas acceptable. Le terrorisme est inadmissible en soi. Il l’est à plus forte raison, dans l’enceinte de l’école républicaine, où la laïcité garantit nos libertés, notre diversité culturelle et notre cohésion sociale.

L’attentat du 16 octobre démontre l’ampleur de la tâche et le long chemin qu’il reste encore à parcourir pour que de tels actes cessent de se reproduire. Plus que jamais, Cartooning for Peace continuera de se mobiliser pour l’éducation à la liberté d’expression et au débat citoyen auprès des jeunes générations.



Victor Hugo, le poète toujours visionnaire :


[...] La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat. Faute d’enseignement, on jette dans l’état Des hommes animaux, têtes inachevées, Tristes instincts qui vont les prunelles crevées, Aveugles effrayants, au regard sépulcral, Qui marchent à tâtons dans le monde moral. Allumons les esprits, c’est notre loi première, Et du suif le plus vil faisons une lumière. L’intelligence veut être ouverte ici-bas, Le germe a droit d’éclore, et qui ne pense pas Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre. Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre [...]


Victor Hugo, Les quatre vents de l'esprit, 1881.

 

Poème écrit en 1942 à Dachau par le pasteur Martin Niemoller, généralement identifié par le titre "Lorsqu'ils sont venus..."


Quand ils sont venus chercher les communistes Je n'ai rien dit Je n'étais pas communiste Quand ils sont venus chercher les syndicalistes Je n'ai rien dit Je n'étais pas syndicaliste Quand ils sont venus chercher les juifs Je n'ai pas protesté Je n'étais pas juif Quand ils sont venus chercher les catholiques Je n'ai rien dit Je n'étais pas catholique Puis ils sont venus me chercher Et il ne restait personne pour dire quelque chose.

 

Né d'une famille pauvre d'Algérie, Albert Camus sera remarqué à l'école communale par son instituteur Louis Germain, qui lui donne des leçons gratuites et qui l'aide à obtenir des bourses pour pouvoir accéder à l'enseignement secondaire. Camus lui en restera reconnaissant et lui dédiera son discours pour le prix Nobel de la paix, obtenu en 1957 pour l'ensemble de son œuvre littéraire.  Son ancien instituteur lui répond : 


30 Avril 1959

Mon cher petit,

(...) Je ne sais t'exprimer la joie que tu m'as faite par ton geste gracieux ni la manière de te remercier. Si c'était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi « mon petit Camus». Qui est Camus ? J'ai l'impression que ceux qui essayent de percer ta personnalité n'y arrivent pas tout à fait. Tu as toujours montré une pudeur instinctive à déceler ta nature, tes sentiments. Tu y arrives d'autant mieux que tu es simple, direct. Et bon par-dessus le marché ! Ces impressions, tu me les a données en classe. Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants, et il s'en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l'enfant, bien souvent, contient en germe l'homme qu'il deviendra. Ton plaisir d'être en classe éclatait de toutes parts. Ton visage manifestait l'optimisme. Et à t'étudier, je n'ai jamais soupçonné la vraie situation de ta famille, je n'en ai eu qu'un aperçu au moment où ta maman est venue me voir au sujet de ton inscription sur la liste des candidats aux Bourses. Mais jusque-là tu me paraissais dans la même situation que tes camarades. Tu avais toujours ce qu'il te fallait. Comme ton frère, tu étais gentiment habillé. Je crois que je ne puis faire un plus bel éloge de ta maman. (...) Avant de terminer, je veux te dire le mal que j'éprouve en tant qu'instituteur laïc, devant les projets menaçants ourdis contre notre école. Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu'il y a de plus sacré dans l'enfant: le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu'il était question de Dieu (c'est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d'autres non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu'il voulait. De même, pour le chapitre des religions, je me bornais à indiquer celles qui existaient, auxquelles appartenaient ceux à qui cela plaisait. Pour être vrai, j'ajoutais qu'il y avait des personnes ne pratiquant aucune religion. Je sais bien que cela ne plaît pas à ceux qui voudraient faire des instituteurs des commis voyageurs en religion et, pour être plus précis, en religion catholique. (...) Le Canard Enchaîné a signalé que, dans un département, une centaine de classes de l'École laïque fonctionnent sous le crucifix accroché au mur. Je vois là un abominable attentat contre la conscience des enfants. Que sera-ce, peut-être, dans quelque temps? Ces pensées m'attristent profondément. Sache que, même lorsque je n'écris pas, je pense souvent à vous tous. Madame Germain et moi vous embrassons tous quatre bien fort.

Affectueusement à vous.

Germain Louis


(texte étudié avec les Terminales HLP en début d'année)

 

Article de Charlie hebdo.fr du 17/10/2020 de Yannick Haenel


Procès des attentats

Trente-quatrième jour : l’horreur et la pensée

34e jour. La décapitation d'un enseignant par un islamiste fait passer le procès au second plan.


C’est très difficile d’écrire ce matin. Si j’assiste à ce procès, c’est parce que je crois que le mal ne doit pas être seulement dénoncé et combattu, mais pensé — c’est-à-dire expliqué. J’ai été professeur pendant plus de quinze ans en région parisienne, j’ai enseigné dans des collèges de banlieue où la violence sociale ne s’arrêtait jamais, et je sais combien s’efforcer chaque jour d’expliquer est fondamental. Expliquer n’est pas justifier, expliquer n’est pas provoquer.

La parole de la justice dont nous faisons l’expérience à ce procès ne suffit pas ; aucune parole ne se suffit à elle-même, surtout pas celle de la répression. Penser la violence, penser le mal, penser le crime, penser la terreur politique, penser l’islamisme radical, penser les religions, penser la foi, penser le blasphème, aucune parole n’est de trop pour le faire : la pensée appelle la pensée, c’est-à-dire le dialogue. Penser, ça veut dire demander à quelqu’un ce qu’il pense. Les professeurs font ainsi avec leurs élèves. Penser avec les autres veut dire mettre en rapport des idées, les moduler, les nuancer, les faire avancer ou les faire reculer. Ça n’a jamais lieu tout seul : il faut, pour penser, plusieurs paroles. La mise en présence des paroles pour penser, c’est l’expérience à quoi nous prenons part ici, au Tribunal de Paris, depuis plus d’un mois ; et c’est l’expérience à quoi prennent part tous les enseignants et tous les élèves chaque jour, à l’école.

Qu’on assassine un professeur parce qu’il essaie de penser avec ses élèves, qu’on le tue parce qu’il se tue à essayer d’expliquer, comme tous les enseignants, qu’on ne tue pas quelqu’un qui ne pense pas comme vous, c’est non seulement une abomination, mais c’est aussi un attentat contre l’école elle-même, contre l’idée même d’éducation, contre la pensée, contre le fait de se parler, contre le fait de demander à quelqu’un ce qu’il pense. C’est une tentative pour nier l’éducation. Car que font les professeurs, que faisait ce professeur d’histoire avant d’être mis à mort ? Il expliquait ce que signifie être libre en France. Cela s’appelle l’éducation civique, et c’est la chose la plus importante qui soit dans les écoles, celle qui s’avère la plus nécessaire : la société française est en proie à une attaque incessante contre ses valeurs, c’est pourquoi expliquer ces valeurs est devenu si urgent, c’est pourquoi penser est plus que jamais décisif. Ce professeur d’histoire était si scrupuleux qu’il a pris la précaution, avant de montrer des caricatures de Mahomet, de prévenir ses élèves que cela pouvait éventuellement les déranger. Sa pensée était si scrupuleuse qu’elle allait jusqu’à se mettre à la place des possibles offensés, et qu’elle devançait l’éventuelle offense pour expliquer que selon la loi et la raison, et aussi selon le bon sens, il n’y a pas d’offense, aucune volonté d’offenser, et aucune raison de se sentir offensé. L’intelligence comprend cela. Mais en plus de l’intelligence, qui s’apprend, notamment à l’école, il y a, en France, un droit et une liberté : celle de penser, de s’exprimer, de rire et de croire. Droit et liberté de croire en la religion qu’on aime, qu’elle soit musulmane, juive ou catholique, ou autre ; droit et liberté de ne croire en rien. Lorsque cet homme a pris soin de penser la possibilité de l’offense et a expliqué pourquoi il n’y avait pas offense, il a fait ce que font tous les enseignants : non pas imposer leur pensée, mais se mettre à la place de leurs élèves, et leur expliquer. Les enseignants, en France, vont-ils devoir arrêter d’expliquer ? Vont-ils devoir se censurer, et donc se taire ? L’école doit-elle s’arrêter ? La France n’en finit plus de découvrir que le crime est par nature obscurantiste, et que l’obscurantisme ne cherche qu’à tuer la lumière et à nier l’esprit. Nous sommes tous des enseignants : nous expliquons, nous pensons, nous parlons avec les autres. Cela s’appelle vivre et être libre.

Une phrase de Nietzsche me revient, elle dit : « Un homme offensé est un homme qui ment ». Les tueurs qui se disent offensés par les caricatures de Mahomet mentent pour justifier leur volonté de tuer ; ils mentent sur l’Islam, ils mentent sur Mahomet. Un homme qui aime sa religion, un homme qui chérit sa foi, que celle- ci soit musulmane, juive, catholique ou autre, n’est jamais offensé, surtout pas par l’humour. Un homme qui aime sa religion pense et parle avec les autres : il parle de ce qu’il aime, il parle de sa religion. Parlons de religion, pensons les religions. Continuons à enseigner, à comprendre, à expliquer, à écouter toutes les paroles.

 






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