Lettre d'espoir

Si pour l'instant aucun de mes élèves n'a encore obtenu le Prix Nobel, j'ai néanmoins reçu moi aussi, la lettre qui fait la différence, tout comme M. Germain !

Quel bonheur de recevoir ce témoignage qui justifie à lui seul mon choix professionnel.

Merci, merci, merci à cette élève particulière mais aussi à tous ceux qui n'auront pas osé se manifester mais qui pensent comme elle, et je sais au plus profond de moi qu'ils sont nombreux.

La voici dans son intégralité, et j'ai reçu l'accord de son auteure pour la signer :

"Chère Mme Abbara, bonsoir à vous !

c'est le retour des anciens élèves du lycée. (enfin REretour pour moi)

Je voulais vous envoyer un mail car j'ai pensé à vous suite aux événements de ces dernières semaines, le procès des attentats de Charlie Hebdo et les nouveaux attentats qui s'en sont malheureusement suivis. 

En fait je me suis rappelée de cette séance juste après les événements de Charlie Hebdo où nous avions eu cours avec vous. Vous aviez tenu à ce que la séance soit dédiée à parler de ce qu'il s'était passé en ce début janvier 2015.

Je vous ai revue émue, révoltée, parfois même par ce que disait une des élèves parmi nous. Mais tenant vraiment à en parler avec nous, à dialoguer avec nous, et que nous dialoguions à notre tour pour élever toujours un peu plus notre réflexion.

Alors je voulais vous envoyer ce mail pour vous dire merci. Car quand M. Samuel Paty a lâchement été supprimé de ce monde (pour ne pas employer d'autres termes) j'ai pensé aux professeurs, à mes professeurs, et j'ai repensé à vous, qui avez cette mission incroyable de nous élever toujours un peu plus, de nous faire développer nos esprits critiques, de nous ouvrir toujours plus au monde et aux connaissances qu'il rassemble, pour contribuer à faire de nous des personnes...un peu meilleures chaque jour dans un quotidien qui nous dépasse, et à éviter ce genre d'événements. A vous les professeurs qu'on appréciait, qu'on craignait, dont on reparle, qu'on aimerait recroiser parfois, qui nous offrent la nostalgie de nos années d'études, envers qui on est souvent reconnaissants des années plus tard.

Ce professeur avait en fait fait la même chose que vous ce jour là, en soi : parler de ces événements, ne pas en faire une des simples actualités du JT qui défilent les unes derrières les autres. Communiquer avec ses élèves de ce qui était en train de se passer et qui concerne tout le monde ici en tant que citoyen. Alors j'ai ressenti à l'instant même que j'aurai presque pu faire le deuil d'un de mes professeurs.

Alors encore une fois je vous envoie ce mail non pas pour ressasser l'atrocité des faits, mais pour venir vers vous et vous dire encore merci, en tant qu'ancienne élève. Car si certains en viennent à ôter la parole à un professeur, d'autres vous remercient pour le souvenir laissé et surtout pour nous accompagner dans notre apprentissage quand on est encore si jeune, si fragile et si vulnérable face à la quantité d'informations, face à la violence du monde, à ces dilemmes, à ces démarches, aux décisions qu'on devra prendre. 

En arriver à de tels actes c'est établir définitivement le fait qu'il y a une faille dans la profession ou plutôt dans le système qui accueille la profession et dans sa reconnaissance.

J'ai reçu le mail que vous avez partagé à propos de votre site internet de poèmes et autres déclarations. J'ai vu que votre voix était toujours élevée et quel plaisir !! Alors je me suis dit que c'était l'opportunité de vous écrire. 

Je vous remercie donc encore et une dernière fois, à vous, en tant que professeure, ou plutôt en tant que personne qui "fait la prof" comme vous nous disiez ! Et cela de la part de cette élève envers qui vous avez contribuer à grandir.

Je vous apporte, ainsi qu'à vos collègues de travail, tout mon soutien en cette période. .

J'aurai plaisir à vous lire concernant votre avis sur la profession à l'heure actuelle, le corps enseignant, à savoir si vous ressentez une régression chaque année quant à "l'ouverture d'esprit" de vos élèves, ou même des nouvelles recrues d'enseignants.

En attendant j'espère que vous considérerez ces mots presque autant que ceux qui ont nui à la liberté d'expression jusqu'à maintenant,

afin que ceux qui vous remercient fassent autant de bruits que ceux qui créent l'horreur, et non l'inverse.

Je vous espère en très bonne santé en cette crise sanitaire,

et je vous prie de m'excuser pour les petites fautes... 

Prenez grand soin de vous Mme Abbara !"

Kathy Otero.